Espagne : la contestation prend de l'ampleur malgré l'interdiction de manifester
VILLAGE AUTOGÉRÉ
Un véritable village autogéré est apparu en moins de cinq jours au cœur de Madrid. La place historique de la Puerta del Sol compte maintenant sur ses propres cantines gratuites, son stand d'information juridique, son infirmerie… Et même depuis peu sur une garderie où l'on réclame des dons de jouets. En tout, 17 points sont listés sur la carte distribuée par les organisateurs, et qui évolue à mesure que les nouveaux mètres de bâche sont tendus pour fournir un peu d'ombre et protéger de la pluie.
"PRENDS LA PLACE"
Rebaptisé ces dernières heures "Toma la plaza", "Prends la place" en français, le campement est apparu à Madrid dimanche 15 mai au soir. Ils n'étaient alors qu'une petite centaine à vouloir passer la nuit sur la Puerta del Sol. Jeudi, des milliers de personnes débordaient dans les rues adjacentes à l'heure de la grande assemblée générale convoquée tous les soirs.
Les participants viennent clamer leur "indignation" contre un système démocratique qu'ils voudraient plus transparent et participatif. Des assemblées ouvertes à tous travaillent ces jours-ci à l'élaboration de propositions plus concrètes.
Selon la police, la Puerta del Sol peut contenir jusqu'à 9 000 personnes. A Barcelone, au moins 500 campeurs ont passé la nuit sur la Plaza Catalunya. Ils étaient également plusieurs centaines dans de nombreuses autres villes espagnoles. Le mouvement commence à dépasser les frontières espagnoles et des rassemblements avaient été convoqués jeudi à Paris, Londres, Budapest… En tout, 175 sites étaient recensés vendredi après-midi sur Internet (http://j.mp/m4E11d).
Des élections sont prévues dimanche dans 13 régions et plus de 8 000 municipalités. En Espagne, tous les actes politiques de campagne sont suspendus quarante-huit heures avant le scrutin pour un temps de "réflexion".
"CRI MUET"
C'est en se basant sur cette loi et en plaçant dans la balance le droit de réunion des campeurs que la commission électorale espagnole, composée de magistrats et d'experts en droit, sciences politiques et en sociologie, a finalement décidé jeudi soir tard de ne pas autoriser de manifestation ce week-end.
Les organisateurs du campement madrilène assurent pour l'instant qu'ils ne bougeront pas. Le coup de départ de la "journée de réflexion" devrait être marqué à 00 h 05 samedi par un grand "cri muet". Selon le quotidien Público, le gouvernement n'envisagerait d'intervenir que si les manifestants portaient gravement atteinte à l'ordre public.
L'interdiction semblait en tout cas avoir provoqué l'afflux de nouveaux soutiens de tous âges et origines, vendredi à Madrid. Costume cravate pour l'un, veste et jean pour l'autre, deux avocats de 28 et 50 ans se pressaient à 13 heures devant le stand juridique. "Nous sommes venus offrir nos services au cas où il y aurait des détentions à cause de l'interdiction de manifester", explique Manuel, le plus jeune.
"TRAHIE" PAR LE PSOE
Non loin de là, Carlota, 54 ans, chemise, petite lunettes, serre-tête en métal et sac en cuir marron, cherche à qui elle peut transmettre ses félicitations. "J'ai entendu des organisateurs à la télévision hier, je voulais les encourager", explique cette ancienne électrice du PSOE qui affirme se sentir "trahie" par son parti. "Je n'avais pas pu rester jusqu'à maintenant à cause de mon travail. Mais ce soir je passerai la nuit ici avec mon compagnon."
Le premier ministre socialiste José Luis Rodriguez Zapatero a admis vendredi matin que s'il avait 25 ans il "serait certainement" aussi sur la place. "Comment ne pas comprendre que les gens qui ne trouvent pas de travail manifestent ?" a-t-il lancé sur les ondes de Cadena Ser.
Selon les dernières enquêtes, le Parti socialiste risque de perdre plusieurs de ses fiefs historiques dimanche prochain.
Elodie Cuzin "Le Monde"
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